MAB – 1ère et 2e intervention
November 30, 2011 by Charles Goerens
Monsieur le Président, le règlement concernant les mesures d’accompagnement dans le secteur de la banane comporte deux volets: un volet coopération au développement et un volet institutionnel qui a trait au pouvoir codécisionnel du Parlement européen. Il n’y a pas de problème quant au premier volet. C’est au niveau des aspects institutionnels, cependant, que nos idées divergent.
Comment peut-on rendre compatible le règlement MAB (mesures d’accompagnement dans le secteur de la banane) avec les dispositions du traité de Lisbonne, et notamment de son article 290? Pour être clair, d’après le traité de Lisbonne, le Parlement européen détient désormais un pouvoir égal à celui du Conseil pour ce qui est de l’approbation des priorités stratégiques dans la programmation des fonds européens, y compris ceux destinés à la coopération au développement.
En tant que rapporteur, conformément au mandat fixé par la conférence des présidents de notre Parlement, et en vertu des décisions arrêtées tant au niveau de la commission du développement que de la délégation du Parlement européen à la conciliation, j’ai, tout au long des huit trilogues avec le Conseil et la Commission, respecté les deux lignes rouges suivantes.
Premièrement: pas question de renoncer au traitement d’égalité entre le Parlement et le Conseil en matière de fixation des priorités pour la programmation financière. Deuxièmement: dans le même esprit, pas question de renoncer aux prérogatives de scrutin démocratique du Parlement européen dans le cadre de cet instrument et de créer un fâcheux précédent pour l’avenir.
Après huit trilogues et devant la rigidité du Conseil, qui n’est même pas présent aujourd’hui, les résultats des courses donnent lieu à deux réactions divergentes. Dans sa majorité, la délégation a voté pour le projet de compromis tel qu’il vous est soumis. Une forte minorité, cependant, n’a pas appuyé le compromis négocié dans le cadre de la conciliation. En ma qualité de rapporteur et en tant que démocrate qui respecte les majorités, je me trouve dans l’obligation de vous transmettre les résultats de nos délibérations, ce qui a été fait.
Mon interprétation personnelle de la déontologie parlementaire m’interdirait de passer cette évidence sous silence. La même déontologie m’autorise toutefois à vous dire qu’à titre personnel, je trouve les résultats très insatisfaisants. Pourquoi? Je trouve les résultats insatisfaisants parce qu’en cas d’adoption du compromis par le Parlement, celui-ci risque de créer un fâcheux précédent. En effet, dans le cadre du projet MAB, le Parlement européen ne se voit accorder qu’un droit à l’information sur les choix stratégique que va arrêter la Commission en matière d’affectation des ressources de 190 millions d’euros. Le Parlement européen obtient l’information et le Conseil, seul, décide sur une proposition de la Commission.
Ceci ne constitue pas un pas en avant. Ceci constitue deux pas en arrière: un premier pas en arrière par rapport au traité de Lisbonne, un deuxième pas en arrière par rapport à la situation antérieure au 1er décembre 2009, date de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. En effet, jusqu’en 2009, le Parlement européen avait, dans le cadre d’une procédure négative, la possibilité de confronter la Commission avec les vues du Parlement. Cette procédure avait un effet suspensif. Aujourd’hui, plus rien de tel. Le Conseil a réussi à priver le Parlement européen, qui est pourtant colégislateur avec lui de son droit de scrutin démocratique en n’acceptant qu’une solution où lui seul pourra adopter les choix stratégiques dans le cadre des mesures d’accompagnement dans le secteur de la banane.
Le Conseil a réussi à inscrire la mise en œuvre du programme MAB dans une logique conditionnée par l’article 291, qui a trait aux simples mesures d’exécution. Ici, on fait deux pas en arrière. À vrai dire, on recule. C’est la raison pour laquelle je ne pourrai pas voter pour ce rapport. Ce faisant, je concède qu’il s’agit pour moi d’une décision extrêmement difficile, mais je suis prêt à l’assumer, parce ce que je ne voudrais pas contribuer à créer un fâcheux précédent pour les négociations à venir portant sur les pouvoirs du Parlement européen en matière de financement des instruments de la politique extérieure.
(2e intervention:)
Monsieur le Président, je viens d’entendre à l’instant monsieur le commissaire Füle, qui a évoqué – je le cite – “une bonne action coopérative, ici, dans le cadre de cette séance”. Nous voulons bien coopérer avec ceux qui sont présents, mais il est difficile de coopérer avec ceux qui sont absents: il n’y a personne en face. Je n’ai pas entendu un seul argument ni ce soir ni au cours des huit trilogues que nous avons eus avec le Conseil.
Si le Conseil avait été présent ce soir, nous aurions pu échanger sur ce qui nous sépare; nous aurions aussi pu parler de ce qui nous unit. J’ai souvent eu l’occasion de le faire dans le cadre de la commission du développement du Parlement européen. Nous aurions pu parler, par exemple, d’une vision commune de la coopération au développement de l’Union européenne, Commission et États membres dans leur ensemble, à laquelle nous invite d’ailleurs le traité de Lisbonne. Cela devrait se traduire dans un partage des responsabilités. Je dis bien des responsabilités.
Or, quelle est la situation aujourd’hui? Les États membres dépensent à peu près 80 % sous leur responsabilité propre, dans le cadre de la coopération au développement. Il est normal que les États membres, de ce point de vue, aient le dernier mot pour ce qui concerne leurs budgets nationaux. Le Parlement n’a rien à y dire.
Par ailleurs, les États membres confient à la Commission un montant important que celle-ci exécute sous le mandat confié par les États membres: c’est le Fonds européen de développement. Tant que nous n’aurons pas obtenu la budgétisation du FED, le Parlement européen restera à l’écart. Là non plus, le Parlement européen n’a rien à y dire, pour déjà presque 90 %.
Puis, pour une partie infime, qui est confiée à la Commission, le Parlement peut invoquer l’article 290, qui le met sur un pied d’égalité avec le Conseil et, là encore, le Conseil veut nous tenir à l’écart, ce qui est inadmissible. Veut-on que le Parlement européen joue aussi son rôle dans le cadre de l’élaboration d’une vraie politique de coopération au développement? Oui ou non? Je persiste à croire que le Conseil n’a pas compris le message.
Une fois de plus, le Conseil exige que le Parlement reste à l’écart et c’est d’ailleurs – on s’en souvient – le mandat que le Conseil avait fixé à la présidence hongroise. D’un côté, on appelle à la coordination de la politique, de l’autre, on nous prive des moyens pour nous faire respecter. On ne nous accorde même pas les moyens qui seraient susceptibles de nous conférer un tant soit peu de respect vis-à-vis de nos partenaires institutionnels.
Le Parlement n’est, quant à lui, pas resté muet. Nous avons, contre vents et marées, appuyé la Commission lorsqu’il s’était agi d’intégrer l’effort de développement dans le service pour l’action extérieure. Je prends à témoin tous ceux présents sur ce banc et les défie de s’inscrire en porte-à-faux contre ce que je viens de dire. Nous n’avons ménagé aucun effort pour vous permettre d’exister aux côtés de la nouvelle haute représentante pour les affaires étrangères.
J’estime, Monsieur le Président, que les efforts déployés par notre Parlement, et notamment par la commission du développement, auraient mérité de trouver un écho bien plus perceptible de la part des institutions, et notamment de la part du Conseil.
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