Chronique Le Jeudi: L’Europe, ça s’explique

December 20, 2012 by Charles Goerens

Morts pour rien?
La Nation américaine est en deuil. Ses citoyens, au moment de redécouvrir le calme et la sérénité de cette période de fin d’année sont secoués par la nouvelle d’une terrible tuerie. Massacre, barbarie, exécution deviennent des mots trop faibles pour exprimer ce que l’on ressent à propos de la fusillade de Newtown. Vingt-six personnes viennent de payer de leur vie le massacre perpétré par un jeune homme d’une vingtaine d’années. Pour six adultes, dont la mère du tueur, ainsi que vingt élèves de l’école locale, ce 15 décembre 2012 constitue leur disparition prématurée, la fin de leurs projets, de leurs attentes, de leurs rêves…
Le silence auquel ils sont désormais condamnés, contraste avec l’agitation médiatique qui entoure l’indicible événement. A l’ère de la communication instantanée, les objectifs de toutes les grandes chaînes de télévision sont braqués sur le lieu du crime. Dans les minutes qui suivent la tragédie, une petite ville est brutalement sortie de son anonymat. Newtown dont le commun des mortels n’avait jamais entendu parler, y compris aux Etats-Unis, devient du coup l’objet d’informations et de commentaires à n’en plus finir. Le micro en mains, des reporters font circuler les premiers messages. En évoquant le nombre de victimes, comparé à ceux d’autres tragédies, une brève description de la ville, quelques détails sur l’auteur du crime obtenus auprès de son entourage ou au bureau d’état civil de la municipalité, le reporter devient l’expert de ce coin perdu du globe comme s’il y vivait déjà dans la septième génération. Celui-ci se fait assez tôt relayer par un psychologue duquel on attend qu’il dresse un portrait du délinquant susceptible de nous renseigner sur les motifs de ce dernier. En mots pesés, avec suffisamment de précautions oratoires, celui qui est sensé lire dans l’âme des gens s’efforce à parler du tueur en veillant à ce que ses propos ne puissent en aucune façon être interprétés comme circonstances atténuantes.
En même temps, un débat, récurrent d’ailleurs, sur le régime très libéral d’accès aux armes à feu aux Etats-Unis, refait surface, comme toujours en pareille circonstance. Une loi plus restrictive en la matière serait-elle de nature à prévenir ce genre de dérive à l’avenir ? Peut-être pas dans le court terme car avec l’instauration d’un régime interdisant pour ainsi dire la vente d’armes et de munitions, le stock important de fusils, de révolvers et autres objets de tir ne disparaîtrait pas pour autant dans l’immédiat. Et pourtant cela pourrait déjà constituer l’indispensable premier pas dans la bonne direction. Telle est du moins l’opinion communément répandue dans la vieille Europe. Or, les coutumes, motivées par des réflexes culturels, relèvent des comportements les plus difficiles à changer. De plus, il faudrait passer par une modification de la Constitution américaine et se départir de l’amendement 2 qui consacre la liberté du port d’arme. Cette liberté a été confirmée d’ailleurs par l’arrêt de la Cour suprême en 2008 qui réaffirme que l’autodéfense est un élément central du droit. Du pain sur la planche pour un Obama qui ne court désormais plus le risque d’une non réélection et pourrait enfin s’attaquer à ce problème.[
L’agitation qui entoure ainsi la tuerie de Newtown ne se distingue guère de celle qui a marqué des catastrophes analogues. Rappelons-nous les événements, il ya dix-huit mois près d’Oslo où 70 jeunes ont été froidement exécutés. Même brassage médiatique. C’est très humain car tout le monde veut toujours tout savoir tout de suite. Loin de moi donc l’idée de vouloir imposer à la presse la manière de traiter ces événements. La question qui reste tout de même posée est celle de savoir quelle place on voudra bien réserver aux victimes dans notre mémoire collective. N’est-il pas consternant de constater qu’avec le recul, le seul nom qui nous revient sur les lèvres en évoquant le meurtre d’Oslo est celui du tueur ? En serions-nous arrivés à une sorte de fatalité qui consisterait à ne retenir comme élément personnel de tel événement que les nom et prénom de l’auteur du crime? Pas nécessairement. L’on pourrait s’inspirer de l’attitude adoptée par le Premier ministre de Norvège avait décidé de taire les coordonnées de l’auteur du crime et ce dès le début. A méditer ! En projetant l’image du délinquant en permanence sur nos écrans, on aboutit finalement à faire éclipser les victimes qui méritent que l’on se souvienne d’elles. Le bon exemple donné par le chef de gouvernement de Norvège n’a hélas pas été suivi dans son propre pays. A Newtown on est en train de refaire la même erreur. N’aurait-on donc rien appris?

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About Charles Goerens

Member of the European Parliament (Renew Europe)

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