Chronique – L’Europe vaut bien un discours papal
May 12, 2016 by Charles Goerens
Le Jeudi, 12/05/2016
L’Europe vaut bien un discours papal
Sa réputation était déjà faite avant le 6 mai dernier. On ne s’attendait pas à voir le Pape François débiter quelques banalités à l’occasion de la remise du Prix Charlemagne à sa personne. Il nous y avait déjà habitués lorsqu’il s’était adressé au Parlement européen à Strasbourg en novembre 2014 en plaidant pour une Europe humaniste avec le cœur et la raison.
Animé par le même esprit, le Pape, sans aucun doute conscient des impératifs de la realpolitik, a néanmoins tenu à rappeler les fondamentaux de la construction européenne. Son discours, pour dire le moins, fera date dans le débat européen. Le Saint-Père n’a pas cédé à la tentation de se contenter de faire la morale à un auditoire composé de personnalités assumant les plus hautes responsabilités dans les institutions européennes. Il aurait pu prendre l’un ou l’autre extrait de l’Evangile pour meubler son allocution. Il s’est, par contre, borné à rappeler aux représentants de l’Europe les fondamentaux de la construction européenne. Il les a invités à faire leur propre introspection au regard des principes de base inscrits dans les traités et déclarations qui régissent la construction européenne depuis ses débuts.
Lui, fils de migrants, a laissé parler son cœur en mettant l’Europe, et avant tout ses Etats membres, au pied du mur. Il leur a rappelé que l’humanisme est la base de la construction européenne. S’il n’avait pas été écœuré par le comportement de la plupart des chefs d’Etat ou de gouvernement de nos Etats membres, il n’aurait sans doute pas lancé, sur le ton du reproche, l’interrogation: “Que t’est-il arrivé, Europe humaniste, paladin des droits de l’homme, de la démocratie et de la liberté ?”
En tout cas, les Orban, Szydlo, leur collègues de Slovaquie, du Royaume-Uni et même Tusk, Président du Conseil européen, en ont pris pour leur grade. L’extrême droite, mais pas seulement elle, soucieuse de ménager le soutien d’une partie de l’électorat catholique, a pu apprendre, vendredi dernier, que son fonds de commerce, basé sur l’exclusion et le repli sur soi, est exactement à l’opposé des vues du Pape François qui a fait siennes les valeurs humanistes dont se réclame le vieux continent. Quelle leçon de maturité à une Europe à laquelle il ne demande rien d’autre que de se conformer dans son action à l’engagement que les Vingt-huit ont pris en adhérant aux accords qui ne devraient jamais cesser d’inspirer sa politique!
Il est de notoriété que l’actuel récipiendaire du Prix Charlemagne refuse en principe ce genre de distinction. Aurait-il estimé ne plus trouver meilleure occasion que la cérémonie de vendredi dernier pour inviter l’Europe à se reconstruire sur ses propres valeurs?
En paraphrasant Henri IV, on serait tenté de conclure que si “Paris vaut bien une messe”, l’Europe vaut bien un discours papal.
Photo (c) Karlspreis.de