Follow up: Lettre ouverte au Président de la Commission européenne – la réponse
May 30, 2013 by Charles Goerens
Monsieur le Président,
Dans votre discours sur l’Etat de l’Union, vous avez déclaré que le temps est venu de mener un grand débat. A cette fin, précisez-vous sur le site de la Commission, des personnalités européennes de premier plan viendront à la rencontre du citoyen. Ce sera l’occasion pour ce dernier de dire « quelle est l’Europe dont il rêve et ce qu’il attend de l’Union européenne ».
Ce débat, tout le monde en convient, devient inéluctable. Si l’Union européenne est meilleure que sa réputation, elle ne fait, hélas, plus rêver, tant la réalité a pris le pas sur l’imaginaire. En effet, en l’an cinq de la crise, l’UE compte plus de cent millions de pauvres et des dizaines de millions de ses ressortissants sont menacés de précarité. La foi en l’avenir des personnes en difficulté se dissipe peu à peu. Les politiques de rigueur visant à retrouver des finances publiques saines font douter d’aucuns de la nécessité de poursuivre l’intégration européenne. Et pourtant, nous sommes convaincus que seule une Europe forte et solidaire permettra à notre continent de sortir renforcé de la crise actuelle.
Par ailleurs en cette période de crise que traverse l’Europe, chaque opération de sauvetage d’un pays en difficulté par les Etats membres de l’Eurogroupe a pour effet de brouiller un peu plus les repères du citoyen en quête d’une gestion de crise efficace. En outre, le fait que des responsables politiques européens – dont vous-même – interviennent dans lesdites opérations ne change rien au caractère strictement intergouvernemental de ces réunions.
Cela ne fait qu’ajouter à la confusion du citoyen quant au rôle de l’Union européenne en ces circonstances particulièrement dramatiques.
On a beau affirmer que l’Europe de Jean Monnet n’a rien à voir avec l’actuelle gouvernance de l’Eurogroupe, la réalité est que chaque propos malhabile de son Président ou de tout autre participant à l’issue de ces rencontres est supposé refléter la position de l’UE.
Certes, ces difficultés ne datent pas d’aujourd’hui, mais avec le traitement de la crise chypriote, ces derniers jours, on risque de franchir un nouveau stade dans le processus d’éloignement du citoyen de l’Union. Divers aspects, tant dans la gestion de la crise de l’Eurozone que dans les commentaires y relatifs, sortent de l’ordinaire. Ainsi, l’expression de ressentiments antiallemands, déjà observée dans d’autres pays en proie à des difficultés financières, commence à inquiéter de par son ampleur. Ce clivage ne devrait pas masquer une autre fracture sans cesse plus profonde entre les pays du Nord et du Sud de l’Eurozone.
Quant aux petits Etats membres de l’Eurozone, ces derniers constatent que dans une espèce de consensus mou, basée sur des stéréotypes et des idées reçues, ils se voient attribuer le rôle de bouc émissaire dans la crise de l’Eurozone. Ces derniers jours, les Petits Etats de l’Eurozone gagnent l’impression d’être jugés davantage en fonction de leur superficie que de leurs mérites.
Même un pays qui s’en tire plutôt bien, en l’occurrence le mien, dont les fondamentaux sont sains et la dette souveraine encore inférieure à 25% du Revenu national brut n’est plus à l’abri de commentaires visant à mettre en doute la durabilité de son modèle économique. Alors que tout nous invite à conjuguer nos efforts en vue de consolider la zone Euro, l’on ne peut que s’étonner de la mollesse des réactions de la part des responsables des Etats membres de l’Eurogroupe lorsque l’un de leurs partenaires fait l’objet d’attaques non fondées.
C’est pourquoi je m’adresse à vous en votre qualité de Président de la Commission pour vous demander de bien vouloir rappeler les règles élémentaires qui devraient guider l’action solidaire de tous les Etats membres de l’UE en général et de l’Eurozone en particulier. En tant que défenderesse du Traité, la Commission vous confère l’autorité de faire respecter le principe d’égalité statutaire des Etats membres. Il va sans dire que les droits et les devoirs sont les mêmes pour tous les Etats membres, qu’ils soient grands ou petits. La manière assez lâche, cependant, dont s’accommodent nombre d’Etats d’une logique voulant mettre au pas les petits pays est contraire à l’esprit et à la lettre du Traité. Tout d’abord, vouloir imposer aux petits Etats la dimension de leur secteur financier, reviendrait à renationaliser des activités économiques qui ont pu se développer dans le respect des règles du marché intérieur, premier écart par rapport au droit européen. Ensuite, le fait d’épingler les petits, tend à accréditer le principe de la discrimination basé sur la superficie du pays. Les deux attitudes ne devraient plus avoir leur place dans l’Europe d’aujourd’hui.
L’Europe dont je rêve est une construction basée sur l’égalité, le droit, la solidarité et la non discrimination qui laisse définitivement derrière elle les ressentiments, les attitudes ainsi que le vocabulaire des années trente. Il est temps de siffler la fin de la récréation. En tant que gardien des Traités, vous me semblez être la personnalité la mieux à même de ce faire.
Dans l’espoir de vous voir réserver une suite favorable à la présente, je vous prie de croire, Monsieur le président à l’assurance de ma parfaite considération.
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