Chronique Le Jeudi: Qui est Appolon?

June 16, 2011 by Charles Goerens

Qui est Apollon?
Malgré tous les efforts entrepris depuis le début de la crise, la Grèce a vu sa dette publique totale atteindre cette année le seuil de 150 % de son revenu national brut (RNB). On savait d’emblée qu’une seule année n’allait pas suffire pour corriger les dérapages, dont le pays en difficulté est, sans aucun doute, le premier responsable. Avec ses 10% de déficit nouveau pour la seule année 2010 on est, cependant, encore loin des 3% d’endettement net annuel fixé comme objectif à moyen terme.
La chute du RNB grec au cours de la même année est à la fois une cause et une conséquence de l’aggravation de la crise de la dette. En effet, le recul frôlant les 4% de la richesse produite par le pays en question a pour effet de masquer en partie les efforts consentis par le Gouvernement Papandreou. Si, par contre, le RNB avait augmenté de 2%, comme c’était le cas dans la plupart des Etats membres de l’Union économique et monétaire de l’UE (UEM), le ratio dette publique/RNB serait moins inquiétant. Il s’agit là d’un effet mécanique aux conséquences dramatiques, car même si la dette en 2010 était restée inchangée en valeur absolue, elle aurait quand-même augmenté en valeur relative par rapport au RNB d’une année à l’autre. Et pourtant, tant que l’économie hellène tarde à décoller, il y a peu d’espoir de voir la situation de sa dette publique évoluer dans un sens favorable.
Les temps présents constituent pour l’UEM un vrai dilemme. Ménager à la Grèce une plus grande marge de manœuvre budgétaire, lui permettant de favoriser la relance économique, signalerait aux marchés un relâchement dans les efforts de redressement du pays. Répondre à la situation actuelle par une dose accrue d’austérité risque, en revanche, de paralyser un pays menacé d’explosion sociale.
Comme si ce constat n’était déjà pas suffisamment sombre, des responsables politiques nationaux au sein de l’UEM ne ratent aucune occasion pour ajouter à la confusion. Avec tous les « il n’y a qu’à » ou les « il faut que », sans oublier les propos populistes de certains, l’insécurité a trouvé le terroir idéal pour prospérer. Quand, finalement, une prise de position des autorités européennes voit le jour, celle-ci est souvent truffée d’arrière-pensées au point d’être illisible pour le commun des mortels. Nombre de prises de position font penser à certains communiqués de l’OTAN que ne comprennent souvent d’ailleurs que ceux qui les ont négociés. L’on serait même tenté de comparer la situation actuelle au désarroi auquel ont pu donner lieu les prophéties de la Pythie dans la Grèce antique. Mais comparaison n’est pas raison. Certes, dans l’Union européenne on n’est pas en mal de prophètes, mais qui incarnerait le rôle d’Apollon? José Manuel Barroso, Olli Rehn, Commissaire aux affaires monétaires, Jean-Claude Juncker, Président de l’Eurogroupe ou Herman van Rompuy, Président du Conseil européen?
Nous voilà renvoyés au problème du leadership européen. Là où on s’attend à des annonces convergentes, on reste sur sa faim: désormais, des orientations utiles qui intègrent à la fois les sacrifices pouvant être honnêtement exigés du peuple grec, mais aussi la contribution des autres Etats membres de l’Eurozone sont requises d’urgence.
Seuls les marchés sont actuellement les maîtres du jeu. La ligne des marchés reste pour l’instant le mobile influant le plus sur le cours des choses, cela au sens propre comme au sens figuré. Les marchés exploitent toutes les opportunités: les fondamentaux de l’économie grecque, tout comme les faiblesses du système politique tant national qu’européen. Ils agissent pour ainsi dire sans contrepouvoir réellement perceptible, capable de définir les pistes d’une sortie de crise intégrant aussi bien la réalité politique que sociale.
Les marchés ont bien entendu un rôle important, voire indispensable à jouer. De là, à leur accorder une confiance aveugle reviendrait à oublier qu’ils sont opportunistes et savent s’adapter aux situations politiques les plus diverses. Aurait-on déjà oublié que les marchés, lorsque ça les arrange, peuvent réagir favorablement au système économique mis en place par les dictateurs. Ils ont, notamment, réservé un accueil favorable aux politiques économiques de Pinochet, voire d’Hitler. Les défenseurs de la démocratie et des valeurs qui y sont rattachées devraient bien se le rappeler.

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Member of the European Parliament (Renew Europe)

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