Chronique Le Jeudi: La Césure

March 17, 2011 by Charles Goerens

LA CESURE
Le récent tremblement de terre au Japon peut donner lieu à une double lecture. D’un côté, les constructions dans leur ensemble ont plutôt bien résisté aux chocs d’une rare brutalité. Cependant le bilan en termes de pertes en vies humaines est terrible. Néanmoins le fait que le nombre de victimes n’a pas pris des dimensions encore plus gigantesques est dû uniquement à une politique de prévoyance menée de très longue main. Mais peut-on s’imaginer l’ampleur du désastre si des mesures visant à atténuer l’impact d’un éventuel tremblement de terre n’avaient pas été prises depuis des décennies. Des pans entiers de l’économie japonaise et notamment le secteur de la construction avaient intégré depuis longtemps les mesures de limitation des dégâts dans leurs projets d’urbanisation.
Pour ce qui est des centrales nucléaires, peut-on porter encore la même appréciation quant aux mesures arrêtées afin de prévenir le pire ? Au plan de la planification desdites centrales, on nous apprend que tout a été fait pour prévenir les fuites de radioactivité en cas de tremblement de terre d’une puissance 8,2 sur l’échelle de Richter. Or avec 8,9 sur la même échelle, la vigueur des secousses a été supérieure de presque dix fois aux hypothèses extrêmes servant de base de calcul aux concepteurs de l’industrie nucléaire du Japon.
Au moment où la terre n’a pas encore cessé de trembler, la décence nous interdit de nous ériger en donneurs de leçons dès lors que les citoyens japonais qui font preuve d’une dignité exemplaire ne savent pas de quoi demain sera fait. D’ailleurs notre empathie peut-elle être comparée à celle des gens côtoyant les survivants qui redoutent par ailleurs une catastrophe nucléaire de grande ampleur ? Faisons d’abord tout ce qui est en nos moyens pour aider les citoyens japonais à dépasser dans l’immédiat le stade des privations de toute nature à commencer par les difficultés d’approvisionnement sur l’un des territoires les plus peuplés du monde. Plus tard, mais plus tard seulement, après avoir retrouvé tant soit peu une « vie normale », le Japon devra faire son introspection.
Dans nos pays par contre, l’interpellation de notre passé bat déjà son plein. Elle va se cristalliser autour de la question de savoir quelle cause devrait servir le progrès. Le progrès au service de la seule croissance du P.I.B est –il encore défendable? Comment pourra-t-on écarter les risques inconsidérés ? Qu’est-ce qu’un risque calculé ? Faut-il appliquer le principe de précaution à l’américaine ou à l’européenne? Face à l’incertain, le maître mot va-t-il être le « risque zéro » ? Mais avant tout, allons-nous renoncer à toute aventure collective ?
L’Europe vieillissante semble avoir relégué définitivement au passé l’esprit pionnier qui au lendemain de la seconde guerre mondiale a présidé à sa création. L’élan de ses débuts a fini par s’estomper et c’est la frilosité qui l’empêche de rallumer le feu sacré auquel elle doit les plus belles pages de son histoire. Et pourtant les défis ne manquent pas. L’approvisionnement durable en énergie avec la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre qui est à ranger au premier plan des grands défis collectifs en est un. Parions que ceux qui naguère encore n’y voyaient qu’une élucubration de quelques rêveurs vont finir par découvrir le vrai potentiel des « renewables ». Et puis si risque il devait y avoir en matière de production d’énergie renouvelable, il serait sans commune mesure avec celui généré par les centrales nucléaires. Voilà donc un domaine dans lequel on peut oser.
Or pour réussir un grand projet, il faut avoir une vision, de l’ambition, une feuille de route et bien-entendu des moyens à la hauteur de ses attentes. Mais est-ce suffisant ? Pas tout à fait car une bonne capacité de résistance à l’incompréhension, pire encore à l’indifférence sans oublier la raillerie à laquelle on s’expose en cas d’échec peut s’avérer indispensable.
« Notre nation doit s’engager à faire atterrir l’homme sur la Lune et à le ramener sur Terre sain et sauf avant la fin de la décennie.» C’est avec ces mots que, le 25 mai 1961, Kennedy donne le coup d’envoi d’un des projets les plus ambitieux de l’humanité. Huit ans plus tard, le rêve devient réalité. Comme il s’agit en l’occurrence de l’une des dernières grandes réussites collectives de l’Histoire contemporaine, qu’attendons-nous pour nous en inspirer dans notre démarche actuelle?

category:

 
Charles Goerens image

About Charles Goerens

Member of the European Parliament (Renew Europe)

Continue reading

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *