Chronique Le Jeudi: Côte d’Ivoire, Egypte, Tunisie…

February 8, 2011 by Charles Goerens

Côte d’Ivoire, Egypte, Tunisie…
Commençons par une banalité. Comme la démocratie est bien le régime dans lequel le peuple détient le pouvoir, il revient au peuple de décider ce qui a lieu d’être à l’intérieur de ses frontières et à personne d’autre. Mais que faire en cas de privation de ces droits ?
En cas de menace de ses acquis démocratiques, respectivement de sa souveraineté, un peuple peut se faire aider de l’extérieur. Nous avons connu cette situation en 1944. Occupé par les nazis, le Luxembourg ne retrouve sa liberté que grâce à l’intervention des alliés. Il ne viendrait à l’esprit de personne de douter, un seul instant, de la légitimité de l’intervention alliée et ce pour deux raisons. D’abord elle répond aux attentes du peuple et de surcroît, entre 1940 et 1944, notre pouvoir exécutif légal en exil fait tout pour qu’elle se matérialise. Lorsque le pouvoir du peuple est bafoué par une puissance étrangère, une ou plusieurs autres puissances peuvent intervenir sans enfreindre pour autant le droit international.
Les choses deviennent plus compliquées lorsque le pouvoir d’un peuple est confisqué par ses propres dirigeants. Le droit international distingue donc entre peuples opprimés par une puissance extérieure et peuples opprimés par leurs propres dirigeants. Le recours éventuel à des forces armées étrangères pour installer Ouattara à la présidence de la Côte d’Ivoire n’est pas compatible avec le droit international. De ce point de vue, la menace émanant de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CDEAO), qui consiste à vouloir écarter Laurent Gbagbo du pouvoir, qu’il occupe sans plus aucune légitimité, aurait peu de chances de se voir réaliser.
Même situation en Tunisie, à la différence près, que la révolte du peuple n’a pas été précédée par l’élection libre d’un nouveau dirigeant. Le ras-le-bol du peuple tunisien n’ayant jusque-là pas pu s’exprimer correctement dans les urnes, s’est finalement déplacé dans la rue, où il a obtenu gain de cause, du moins en partie… Le peuple tunisien doit cette victoire à son seul courage. Il n’y a de lauriers à prendre par personne en dehors de la Tunisie, y compromis par l’auteur de ces lignes qui, comme tant d’autres, avait sous-estimé le degré d’exaspération du peuple tunisien.
C’est avec le même sentiment d’humilité qu’il va falloir aborder les émeutes survenues en Egypte. Notre posture de résistants de la dernière heure n’a rien de glorieux. Là aussi, sans le courage, voire le culot manifesté par les Egyptiens au cours de la dernière semaine, il y a fort à parier que le caractère étouffant du régime n’aurait pas dominé le journal de 20 heures. Mais depuis que nous avons pris connaissance des images des blessés, victimes de la répression d’un régime dont les jours sont comptés, nous avons une folle envie de venir au secours de ces pauvres gens qui ne demandent qu’à pouvoir jouir des mêmes droits que les citoyens de l’autre rive de la Méditerranée.
Les révoltes ivoiriennes, tunisiennes et égyptiennes, nous rappellent une fois de plus que, quelles que soient les difficultés, les coups décisifs portés aux pouvoirs répressifs, viennent rarement de l’extérieur. Est-ce à dire que la responsabilité de nos pays serait nulle dans la longue oppression des peuples qui aspirent au changement ? En tout cas, la remise en question du passé du monde arabe par ses citoyens vient de commencer de façon spectaculaire. Cet examen critique ne pourra pas non plus épargner les relations de ces pays avec le reste du monde et notamment avec l’Europe. L’Union européenne, quant à elle, ferait bien de ne pas trop tarder à pratiquer son introspection à ce propos.
Une analyse critique de nos relations avec les Etats arabes doit-elle prendre cependant la forme d’un exercice d’auto-flagellation ? Pas nécessairement. Le sort des Egyptiens en 2011 serait-il meilleur si nous avions renoncé à développer des relations économiques avec leur pays ? Fallait-il ostraciser Moubarak, l’un des rares dirigeants arabes ayant reconnu le droit à l’existence d’Israël ? Non, Moubarak n’est pas Hitler. Pour autant cela ne fait pas de lui un démocrate. Les manifestants égyptiens, faut-il le rappeler, ne se sont révoltés, ni contre le développement économique de leur pays ni contre la politique extérieure de leur gouvernement. Par contre, c’est bien contre l’incapacité du régime de transformer les potentialités économiques réelles en progrès social que se déchaîne la colère collective. Les Egyptiens manifestent contre Moubarak, symbole de la corruption qui ronge tout espoir d’amélioration de leur situation personnelle, mais pas contre l’autre Moubarak, soucieux de marginaliser les « Frères musulmans ». Les Egyptiens demandent le départ de celui qui, au nom de la lutte contre l’islamisme, a fini par brider un peuple tout entier.
Dans leur réaction aux événements qui ont lieu à l’heure actuelle dans le monde arabe, l’Occident a été pris de court. Où ne serait-il pas indiqué de parler plutôt de valse-hésitation à propos de l’attitude adoptée par les responsables européens ?
Que pouvons- nous faire en ces heures critiques ? Les Egyptiens sont bien trop fiers pour se laisser voler leur révolution. Toute ingérence serait contreproductive, rappelle-t-on comme un rengaine. L’Europe serait-elle dès lors cantonnée au rôle d’observateur privilégié de l’Histoire ? N’est-ce pas à l’Union européenne de contribuer à faire bouger les lignes dans un monde arabe qui aspire en majorité à des valeurs qui ne sont finalement pas si différentes des nôtres ?
Depuis le début des émeutes, les signaux émanant de la diplomatie européenne n’ont pas été très convaincants. Ceux qui se battent dans les rues du Caire ou d’Alexandrie attendent sans doute autre chose qu’un simple rappel des impératifs de la realpolitik. La voix de Lady Ashton est à peine perceptible dans le concert des réactions. C’est bien dommage car en cas de victoire des opposants, un gigantesque effort de redressement attend les Egyptiens. Cet effort dépassera les moyens dont ils disposent. En pareille circonstance, les Européens sont toujours les premiers et les plus efficaces à contribuer aux projets de leurs partenaires. Le Pakistan, Haïti, Les Territoires palestiniens, les Balkans occidentaux, entre autres, peuvent en témoigner. Si au moins, on pouvait faire passer ce message à une Egypte, qui n’est certes pas offerte mais qui reste ouverte, on ne ferait peut-être pas si piètre figure dans les yeux de ceux qui ont le visage couvert de sang.

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About Charles Goerens

Member of the European Parliament (Renew Europe)

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