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La rage destructrice de l’extrême droite

December 8, 2016 by Charles Goerens

Chronique Le Jeudi, 08/12/2016

La rage destructrice de l’extrême droite

 

La perfection n’est pas de ce monde. Cela vaut pour tous les êtres humains, même pour le Pape, dont l’infaillibilité, comme l’admet l’Eglise catholique elle-même, n’est pas absolue étant donné qu’elle ne s’applique qu’aux questions dogmatiques. Qu’en est-il dès lors du monde politique? Nous devons à Willy Brandt ce constat très pertinent selon lequel les politiques “sind keine Auserwählte sondern Gewählte”. Si les deux termes se traduisent par le même mot, le premier est à connotation élitiste tandis que le second veut simplement dire “élu”. Ne qualifie-t-on pas à tort d’élite les  dirigeants politiques, les journalistes, les responsables de la marche de l’économie, comme s’ils détenaient le pouvoir absolu et devaient être infaillibles ès qualité? Il s’agit en l’occurrence de personnes qui, dans leur action, se trompent, commettent des erreurs, peuvent être fautifs et sont de ce fait sujets à critique, mais ils ne sont pas que cela. En acceptant les fonctions qui sont les leurs, ces personnes s’exposent tout naturellement à des critiques. Jusque-là rien à redire si ce n’est la mauvaise foi qui, souvent, anime leurs détracteurs.

 

La vague de déconsidération qui déferle actuellement sur l’Europe est donc à prendre très au sérieux. Quand l’approximation, la caricature, l’insinuation, les contrevérités, voire le mensonge tiennent lieu de débat public, il devient urgent de tirer la sonnette d’alarme. Les Vingt-huit ne sont pas à même de répartir les réfugiés équitablement entre eux. Est-ce la faute à l’Europe? Non, parce que celle-ci est bloquée par des Etats membres dirigés par des populistes qui ne veulent accepter aucun réfugié sur leur territoire. Privant l’Europe du transfert des compétences indispensables pour pouvoir traiter humainement l’accueil des réfugiés, les Etats membres qui sont déjà minés par des courants populistes, reprochent ensuite  à l’Europe son incapacité d’agir. N’est-ce pas le fruit de ce crétinisme qui risque désormais de relayer le devoir moral et légal auquel avaient souscrit tous les Etats membres dans des textes codifiant le devoir d’assistance aux réfugiés?

 

Merkel agit en conformité avec la convention de Genève en matière d’accueil des personnes fuyant la guerre et la torture. Elle est critiquée par ceux-là même qui restent muets lorsque les fascistes mettent le feu aux centres d’accueil.

Renzi perd un référendum sur des réformes au système politique italien. Les populistes en profitent pour régler leurs comptes avec l’Union européenne.

Poutine protège et assiste le boucher d’Alep en lui prêtant main forte. Le même Poutine bafoue le droit international en Crimée et dans l’est de l’Ukraine. Pourtant l’extrême-droite, pas seulement française, le considère comme son ami et allié. Ami et allié fidèle, Poutine ne se laisse pas prier deux fois pour financer les partis occidentaux qui s’opposent à toute critique à son endroit. Cela n’empêche nullement les récipiendaires de la manne russe d’inciter l’opinion publique à la haine contre “l’establishment”, c’est-à-dire les forces qui assument leurs responsabilités gouvernementales dans l’une des phases les plus critiques de l’histoire de l’après-guerre.

 

Redoutables, ils le sont, ces gourous de l’extrême-droite, redoutables dans leur façon de communiquer, redoutables dans leur succès de convaincre à la fois des ouvriers qui, naguère encore, votaient pour l’extrême gauche, des paysans, des chefs d’entreprise déçus par la droite traditionnelle ou le centre, des policiers, des universitaires ou des commerçants ancrés à gauche ou à droite de se joindre à eux.

 

Ils affirment sans rougir qu’ils entendent rendre la liberté aux peuples de disposer d’eux-mêmes. Quelle liberté? La liberté de  la presse, bafouée, intimidée ou muselée dans les pays dirigés par les populistes? La liberté des citoyens de circuler librement?

Comme ces libertés sont d’ores et déjà garanties par l’Union européenne, on est en droit de se demander ce que  l’extrême droite entend par liberté des peuples de disposer d’eux-mêmes. En réalité, la liberté à laquelle ils aspirent n’est-elle pas celle où, une fois au pouvoir, ils peuvent disposer librement du peuple?

 

Laisser planer le flou sur cette question donne lieu aux pires inquiétudes. Quelle liberté pour les étrangers? Quelle liberté pour les minorités? Il faut en débattre. Nos citoyens veulent être éclairés. Aussi me semble-t-il judicieux d’éviter de faire l’amalgame entre toutes les grandes gueules qui, avec un petit verre sous le nez, ne maîtrisent plus la syntaxe et d’aucuns parmi les dirigeants de l’extrême droite.

 

Ainsi la seule référence à la liberté dans le troisième Reich se trouve-t-elle  à l’entrée de plusieurs camps d’extermination: “Arbeit macht frei”. Pour Le Pen, la façon dont le travail a libéré les millions de juifs et les centaines de milliers de tsiganes entre 1940 et 1945 n’est qu’une question de détail. Les gens de cette trempe, il faut les prendre au mot. Si dans les années 1930 on n’avait pas pris les propos antisémites, xénophobes et racistes pour des élucubrations d’un délirant, on aurait sans doute pu laisser la liberté aux peuples d’Europe. Quand on s’en est aperçu, soixante millions d’Européens avaient payé de leur vie cette erreur d’appréciation.

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About Charles Goerens

Member of the European Parliament (Renew Europe)

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