Crise de l’Union ou crise dans l’Union?
January 28, 2016 by Charles Goerens
On est nombreux à partager la conviction selon laquelle l'afflux d'un million de réfugiés dans l'UE est tout sauf une situation ingérable. En effet, un million de réfugiés sur cinq cents millions de citoyens européens représente 0,2% de la population totale de l'UE. Il faut raison garder et mettre le nombre de personnes arrivées en Europe en relation avec sa population totale.
On est nombreux à partager la conviction selon laquelle l’afflux d’un million de réfugiés dans l’UE est tout sauf une situation ingérable. En effet, un million de réfugiés sur cinq cents millions de citoyens européens représente 0,2% de la population totale de l’UE. Il faut raison garder et mettre le nombre de personnes arrivées en Europe en relation avec sa population totale.
Peut-on raisonnablement qualifier d’invasion un afflux de personnes ne représentant guère plus de 0,2% de la population? Même si ce ratio devait atteindre le double, le terme invasion resterait encore inapproprié.
Rappelons qu’en adhérant à la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, tous les Etats membres de l’UE se sont engagés à accueillir les personnes ayant quitté leur pays pour échapper à la violation de leurs droits les plus élémentaires et à leur accorder la protection qu’ils cherchaient en vain dans leur pays d’origine. Quand viennent des centaines de milliers de personnes en quelques semaines dans l’un ou l’autre des vingt- huit Etats membres, elles entrent, en même temps, dans l’Union européenne. Avec l’entrée en vigueur du Traité de Maastricht, au début des années 1990, cet espace de liberté et de justice que constitue l’Union européenne s’est engagé à former une Union sans cesse plus étroite. Conformément au principe de subsidiarité, les Vingt-huit devraient accepter tout naturellement d’organiser en commun l’accueil des réfugiés, de se répartir le nombre de personnes à placer selon une clé de répartition démographique. C’est ce principe qui devrait guider l’action des Hollande, Cameron, Rajoy, Orban et co…
Or c’est tout le contraire qui se produit. Bien que l’accueil des réfugiés constitue une obligation de résultat pour tous, seule une minorité de pays est prête à l’assumer. Les uns laissent les frontières ouvertes, d’autres installent des barbelés aux abords de leur territoire. Les frontières intérieures qui avaient pratiquement disparu réapparaissent. Schengen, jusque-là garant de la libre circulation des personnes, est remis en question. Le plus préoccupant, cependant, c’est la passivité avec laquelle nombre d’Etats assistent à l’érosion d’importants acquis de l’Union européenne dont notamment la liberté de mouvement à l’intérieur de celle-ci.
Entretemps la classe politique allemande est en train de s’entredéchirer. Y a-t-il une raison objective de proclamer que les limites des capacités d’accueil seraient d’ores et déjà atteintes, voire dépassées? En Allemagne, en tout cas, à en croire d’aucuns parmi les responsables locaux et régionaux, lesdites capacités d’accueil seraient déjà épuisées. Le seraient-elles aussi si les 27 Etats membres acceptaient, chacun, de partager les efforts indispensables à un traitement humain de la présente crise des réfugiés? Evidemment non. Dans ce cas, l’Allemagne serait responsable du traitement de quelques 160 000 demandeurs d’asile et non plus d’un million. Aussi des discussions sur des “Obergrenzen “, des limites supérieures en matière de personnes autorisées à rejoindre l’Allemagne, n’auraient-elles plus lieu.
En ce début de 2016, une crise mal gérée que l’on aurait bien pu éviter s’attaque aux fondements-même de la construction européenne. Les souverainismes et les égoïsmes nationaux sont à l’origine de cette déroute. N’est-on pas en train de remettre en question les principes et acquis de l’Union européenne-ce qui n’est dans l’intérêt de personne- alors qu’il suffirait tout simplement de changer de méthode? La méthode à préconiser est celle qui aurait pour cadre de référence la seule Union européenne plutôt que vingt-huit espaces nationaux.
La mission de l’UE devrait consister à assurer la protection de ses frontières extérieures, de prévoir à cet effet la mise en place d’un FBI européen, de répartir, au besoin arbitrairement, les réfugiés entre les 28 Etats membres et de prévoir une assistance budgétaire pour les pays moins prospères. Toutes ces mesures, sans exception, pourraient être réalisées, à condition de le vouloir, bien entendu. Et d’inscrire l’action dans une démarche résolument fédérale. Arrêtons donc de parler de crise de l’UE tant que l’on prive l’UE des compétences indispensables à son action. Il s’agit, en l’occurrence, non pas d’une crise de l’Union européenne mais bien d’une crise dans l’Union européenne.
Photo (c) The Guardian