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Chronique Le Jeudi

September 15, 2016 by Charles Goerens

La politique n’est pas une science exacte

En effet, les grands événements font rarement l’unanimité dans nos conversations, sur les réseaux sociaux ou dans la presse, tant écrite que parlée. Quoi de plus normal dans une démocratie qui, par nature, est pluraliste? Non seulement la démocratie est plurielle, mais elle est aussi très résiliente. Elle dure et elle endure. Elle permet de faire coexister des points de vue diamétralement opposés. En facilitant la confrontation, elle protège avant tout la liberté d’expression de celles et ceux qui s’écartent du « mainstream ».

Ce constat vaut grosso modo pour la période d’après-guerre, du moins dans nos démocraties occidentales.

Abstraction faite de propos calomnieux ou mensongers, la liberté d’expression ne connaît guère de limites.

Tel n’est plus le cas en Turquie. Depuis la récente tentative de coup d’Etat, le Président Erdoğan fait mettre sous les verrous tous les citoyens supposés ne plus suivre la ligne du gouvernement. Si la Hongrie ne peut pas être accusée des mêmes faits, il est cependant indéniable que Viktor Orbán, à travers son « Conseil des médias », essaye de manière plus subtile de freiner les ardeurs d’une presse critique.

Quant à l’Europe occidentale, tout serait-t-il pour le mieux dans le meilleur des mondes? A première vue, la situation paraît être satisfaisante. Effectivement, chez nous, les dérives à la Erdoğan datent d’une autre époque. Par contre, ce qui dans notre façon de traiter de l’actualité politique pose problème, c’est notre manière de réagir à des phénomènes nouveaux comme le développement de l’extrême droite, par exemple. Diffuser en boucle le résultat électoral du parti

« Alternative für Deutschland » (AFD), finit par le rendre encore plus populaire. En présentant le AFD comme un mouvement en phase avec le peuple d’en bas, on l’oppose à une chancelière ayant apparemment perdu tout lien avec le citoyen. La prétendue fracture entre elle et le peuple allemand trouverait son origine dans son attitude favorable à l’accueil d’un million de réfugiés en 2015. S’il est vrai que le mécontentement auquel a donné lieu son attitude ouverte et humaniste en la matière lui a couté un nombre très important de voix, est-il normal de mettre en doute sa légitimité? Peut-on lui reprocher d’avoir accueilli à bras ouverts les personnes ayant fui l’horreur de la guerre quand la plupart des autres Etats membres de l’Union européenne ont fermé leurs frontières et donné ainsi une fin de non-recevoir aux demandeurs d’asile? Les Orban, Szydlo et autres dirigeants du Groupe de Visegrád font peu état du respect des dispositions du droit international qui les oblige à offrir la protection aux personnes fuyant la guerre.

En fait, le cortège des détracteurs de Madame Merkel lui fait un double reproche. D’un côté, elle est accusée de faire ce que le droit international lui impose et de l’autre, il lui est reproché de se substituer aux responsabilités que ses homologues ne sont pas prêts à assumer.

N’est-ce pas le monde à l’envers? L’information tend à présenter l’accueil des réfugiés comme la défaite du siècle, alors que les dispositions du droit national et international ne lui laissaient guère d’autre choix. Suggérer le comportement des fossoyeurs de l’humanisme, hostiles à un traitement humain des personnes en détresse, comme une attitude plus respectueuse de la volonté du peuple n’augure rien de bon. Loin de moi l’idée de rendre la presse responsable de ce malaise. Cela ne veut pas dire pour autant que l’on ne doit pas s’interroger sur le fait que les fascistes qui mettent le feu aux centres d’accueil de demandeurs d’asile font moins l’objet de critiques que les décideurs qui ne font rien d’autre que de donner un peu de perspectives à ceux qui avaient fini par perdre tout espoir.

Le clivage entre l’humanisme, dont s’est toujours réclamé l’Union européenne, et l’extrême droite décomplexée, refusant de respecter les droits fondamentaux y relatifs, ouvre une période d’incertitude, voire d’inquiétude. Il faut espérer que les défenseurs de la dignité humaine n’aient pas encore dit leur dernier mot. A chacun de nous, sans exception, de ne ménager aucun effort pour faire pencher le curseur du côté de l’humanisme et de l’acquis des Lumières.

 

Photo (c) Independent.co.uk

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About Charles Goerens

Member of the European Parliament (Renew Europe)

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