Chronique
March 14, 2017 by Charles Goerens
13/04/2017, Le Jeudi
La relance de l’Europe par le citoyen
Difficile de s’imaginer nos citoyens souhaiter la fin de nos institutions en cas de profond désaccord avec la politique menée. En pareille circonstance, ils souhaitent le remplacement de l’équipe dirigeante lors des prochaines élections sans vouloir pour autant mettre fin à la Chambre des députés ou au gouvernement. Les mêmes causes, cependant, ne génèrent pas nécessairement les mêmes effets dès lors qu’il s’agit de la politique nationale ou européenne. En France et aux Pays-Bas, par exemple, des mouvements nationalistes, en désaccord avec la politique de l’Union européenne s’en prennent carrément à ses institutions et veulent soit les quitter soit mettre fin à leur existence.
Le but affiché des nationalistes, c’est tout simplement la désintégration de la construction européenne. En cas de victoire de leur camp, ils s’engagent à laisser le peuple décider par voie référendaire de la sortie de leur pays de l’Union européenne.
Pour ceux qui en doutaient encore, le processus d’intégration européenne n’est plus irréversible, situation impensable il y a une dizaine d’années. En effet, si les Le Pen et Wilders devenaient majoritaires dans leurs pays, cette Union, dont tous les pouvoirs qu’elle détient lui ont été transférés par les Etats membres, serait jetée en pâture à une opinion publique en désarroi. En cas de victoire de l’extrême droite dans ces deux pays, on voit mal ce qui pourrait encore s’opposer à la fin de l’Union européenne. Finie alors la rengaine éternelle du possible retrait de l’UE sur son noyau dur pour limiter les dégâts étant sous- entendu que le noyau dur ne serait autre chose que les six pays fondateurs. Or le cœur de l’Europe est atteint et l’on verrait mal les six pays fondateurs relancer la construction européenne si la France ou les Pays-Bas s’apprêtaient à lui tourner le dos. Ajoutons aussi que le rapport à l’UE des autres Etats fondateurs, à l’heure actuelle, est tout sauf euphorique.
Y-a-t-il encore un faible espoir de voir l’UE retrouver une nouvelle dynamique? Rien n’est moins sûr étant donné que toutes les incantations des responsables des institutions gouvernementales ou parlementaires tant européennes que nationales n’ont produit jusque-là que de très faibles résultats. Rares sont ceux parmi les dirigeants politiques nationaux qui continuent à considérer l’Europe comme une priorité. Aussi la campagne présidentielle française montre-t-elle à quel point l’Europe est absente du discours des prétendants à la magistrature suprême.
Il y a lieu, en ces temps dramatiques, de s´interroger sur les vraies raisons de ce désamour. Parmi les causes du rejet souvent citées, retenons l’incapacité de la gouvernance actuelle d’humaniser la globalisation. Le philosophe Jürgen Habermas affirme que si la globalisation affaiblit les gouvernements et les parlements nationaux, il importe de développer une coopération internationale démocratiquement légitimée. Peut-on s’imaginer meilleur éloge pour l’Union européenne qui, de toute évidence, constitue le cadre idéal pour développer cette coopération?
Comment dès lors pérenniser la construction européenne si les piliers sur lesquels elle repose- en l’occurrence les Etats membres- font l’objet de secousses de plus en plus violentes? Et si, au moment où le doute s’installe sur la capacité des 28 Etats membres de supporter la construction européenne, on remettait le citoyen au centre du projet européen? Les déçus du résultat du référendum sur le Brexit au Royaume-Uni font preuve d’un profond attachement aux valeurs fondamentales de l’Union européenne. C’est parmi eux que nous trouvons les plus ardents défenseurs de la citoyenneté européenne. Les vrais Européens aujourd’hui, ce sont ces millions d’Anglais, d’Ecossais, de Gallois et d’Irlandais du Nord qui risquent d’être déchus de la citoyenneté européenne. Ils nous témoignent de jour en jour que l’Europe est une affaire de cœur. Nous aurions tort d’ignorer leur appel et de réserver une fin de non-recevoir à leur attente de rester, malgré le Brexit, d’une certaine façon, citoyens européens. Ne leur tournons pas le dos! Chapeau bas à ces millions de femmes et d’hommes qui nous font redécouvrir le citoyen au sens noble du terme avec sa capacité de se mobiliser. Nous leur devons quelque chose car ils nous indiquent la voie à suivre.
Si, en effet, on pouvait observer la même ferveur dans les vingt-sept autres Etats de l’Union, on n’aurait plus de soucis à se faire pour la cohésion de l’Europe. La relance de l’Europe par le citoyen a plus de chances d’aboutir que si l’on confiait cette tâche indispensable aux seuls dirigeants des institutions nationales et européennes souvent considérées, à tort d’ailleurs, comme des monstres abstraits.
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