Brexit: A qui profite le crime?
February 18, 2016 by Charles Goerens
18/02/2016, Chronique: Le Jeudi
Le Royaume-Uni va être fixé sur son sort dans les semaines et mois qui suivent à propos de son rapport à l’Union européenne. Le résultat du référendum promis par David Cameron dans son discours du 23 janvier 2013 aura le mérite de la clarté. C’est “in or out”. Si le non l’emporte, le Royaume-Uni sort du dispositif institutionnel de l’UE.
Dans maints domaines, cependant, la sortie de cet Etat membre de l’UE ne changerait rien. Le Royaume-Uni ne serait pas contraint de quitter l’espace de Schengen, il n’en a jamais voulu faire partie. Il ne serait pas non plus invité à abandonner l’euro, il l’a toujours refusé. Il ne serait plus lié au principe d’une “Union sans cesse plus étroite”, le refus de s’y conformer est inscrit dans son ADN. Ses engagements en matière d’accueil des réfugiés ne seraient guère affectés par le NON, il est difficile de s’imaginer qu’il puisse s’impliquer encore moins que maintenant. Rien ne va donc changer pour le Royaume-Uni? Ne nous leurrons pas. Dans l’hypothèse du NON, tout va changer.
Le rôle prépondérant de l’anglais dans les institutions européennes comme langue véhiculaire resterait, certes, inchangé. Mais il n’y aurait plus de commissaire britannique, plus de représentants anglais, écossais ou de l’Irlande du Nord au Parlement européen, plus de représentant au Conseil de l’Union ( Conseil des ministres), plus de Premier ministre de sa Majesté au Conseil européen, plus de juge à la Cour de Justice de l’Union européenne, plus de membre britannique à la Cour des comptes. Siège vide à la Banque européenne d’investissement. Quant aux fonctionnaires du Royaume-Uni travaillant dans les institutions européennes, l’on voit mal ce qui pourrait encore s’opposer à leur départ définitif.
Il appartiendra aux citoyens britanniques de décider s’ils entendent renoncer à tous ces leviers de leur action politique, s’ils s’abstiennent désormais de toute possibilité d’influer sur le devenir de l’Union. Les autres Etats membres de l’Union seraient mal inspirés de trop se mêler de cette affaire car il appartient aux électeurs britanniques et à eux seuls de trancher. Le respect que méritent la capacité de discernement et la liberté de jugement des sujets de sa Majesté devraient nous inviter à faire preuve de retenue.
S’agissant, par contre, de l’orientation à donner à l’UE dans les années à venir, c’est un sujet d’intérêt commun. C’est pourquoi la retenue des partenaires du Royaume-Uni ne me semble plus de mise. En effet les défis actuels ont le mérite de mettre à nu les limites des Etats agissant seul, refusant la mutualisation des moyens à mettre en œuvre pour accueillir dignement les réfugiés, laissant le déficit démocratique se creuser notamment dans la zone Euro, condamnés à s’aligner sur le moins disant social, budgétaire et politique et toujours prompts à stigmatiser l’impuissance de l’Union européenne qu’ils ne cessent de priver des moyens et méthodes indispensables pour mener à bien une politique efficace.
Simone Veil m’avait appris que tout compromis n’est défendable que dans la mesure où les parties appelées à le négocier arrivent à évoluer vers un niveau supérieur. Si Donald Tusk avait fait sienne cette approche dans le cadre des arrangements négociés avec le Royaume-Uni qu’il veut faire avaliser lors du prochain Conseil européen, il aurait élargi le débat en prenant soin de clarifier les pouvoirs institutionnels d’un Etat membre se soustrayant à des pans entiers de la construction européenne.
L’on s’imagine mal le Royaume-Uni rester dans l’UE, refuser la monnaie unique, s’opposer à toute ingérence de l’UE dans son régime monétaire dérogatoire d’une part et revendiquer le droit de participer à nombre de décisions concernant l’Union économique et monétaire d’autre part. Si les conclusions du Conseil européen des 18 et 19 février devaient entériner les vues de David Cameron, fort de la complicité de Donald Tusk, les Vingt-huit accepteraient d’ouvrir la voie à une Union non plus “sans cesse plus étroite”, mais à une entité politique intergouvernementale sans cesse moins gérable, plus inefficace et de plus en plus insignifiante.
Ce scénario est en voie de devenir une perspective réelle à moins de voir l’un ou l’autre Etat membre s’y opposer. Et si les six pays fondateurs de l’Union européenne réunis à Rome au niveau des ministres des affaires étrangères il y a une semaine décidaient de refuser le bricolage à la Tusk lors du prochain Conseil européen, ils seraient les dignes successeurs de Jean Monnet, Robert Schuman, Paul-Henri Spaak, Joseph Bech, de Gasperi, Helmut Kohl, François Mitterrand, Jacques Delors. Pour ce qui est de David Cameron, refusant toute référence continentale, il ferait honneur à son pays en s’inspirant de l’œuvre de Roy Jenkins.