Conférence de Charles Goerens sur la chute du mur de Berlin: Quelle Europe 20 ans après?
November 9, 2009 by Charles Goerens
20 ans après
Le vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin nous rappelle sans doute la partie la plus spectaculaire des événements du 9 novembre 1989. Après l’annonce par Schabowski de l’entrée en vigueur de conditions allégées concernant le passage de la frontière dont pouvaient désormais se prévaloir les citoyens de la R.D.A., la digue ne pouvait plus tenir, la pression était devenue trop forte. L’opposition au régime communiste de l’Allemagne de l’Est révélait l’existence d’une société civile aussi déterminée que disciplinée. Confiant que l’Union soviétique n’allait plus s’opposer à l’émancipation des citoyens est-allemands, les choses avaient pris leur cours et devaient tôt ou tard déboucher sur une issue fatale pour le régime.
C’était l’aboutissement d’un processus d’assouplissement lancé cinq ans auparavant par le secrétaire général du Parti communiste de l’U.R.S.S. Mikail Gorbatchev. Parti en 1985 avec l’ambition de réformer le régime communiste en essayant de le rendre plus transparent et plus humain, il devait finalement se rendre à l’évidence que le système qu’il ambitionna de réformer allait imploser et finir par entraîner sa propre chute. La fin politique sans gloire de Gorbatchev ne doit pas masquer le fait que grâce à son charisme et à ses grands discours visionnaires, entre 1985 et 1989, tous les rêves étaient permis.
La « maison commune de l’Europe » qu’il appela de ses vœux reste une œuvre inachevée. Certes l’Union européenne peut mettre à son actif d’avoir ouvert une perspective européenne à la R.D.A d’abord, à la Pologne, à la Hongrie, à la République Tchèque, à la Slovaquie, à la Slovénie, à la Lituanie, à la Lettonie ainsi qu’à l’Estonie ensuite et finalement à la Bulgarie et à la Roumanie. Ce faisant, l’Union européenne, du seul fait de son existence, a contribué de façon décisive à juguler les tensions notamment nationalistes qui ne tardaient pas à se manifester dès le début des années 90 dans les nouvelles démocraties de l’Europe centrale. Sans cette perspective, la guerre des Balkans aurait sans doute pris une envergure encore plus catastrophique.
Si l’adhésion de ces Etats à l’Union européenne est devenue réalité entretemps, l’inventaire des occasions ratées, des opportunités inexploitées voire des échecs reste impressionnant. Ce que d’aucuns avaient redouté en 1989 ne s’est finalement pas produit. La réunion de la RFA et de la RDA en un seul Etat allait-elle donner naissance à une Europe allemande ou à une Allemagne européenne? C’était l’Allemagne qui, sans se faire prier, avait fini par rassurer ses partenaires que, pour elle, il n’y avait d’autre option envisageable que celle de la poursuite du processus d’intégration européenne. L’Allemagne réunifiée a également renoncé à sa monnaie (le DM), ce qui a ouvert le chemin à un élément positif et fédérateur qu’est l’Euro, tandis que l’Europe politique n’avance qu’à petits pas.
Occupés à regarder leur nombril, nombreux ont été les dirigeants des anciens Etats membres de l’Union à refuser le projet allemand de 1990 d’une Union européenne plus forte, plus politique et plus consciente de sa responsabilité d’acteur global. Traité de Maastricht, Traité d’Amsterdam, Traité de Nice et finalement avec la fin du processus de ratification du Traité de Lisbonne, il aura fallu pas moins de 20 ans pour tirer les conclusions de la fin de la division du continent européen et de traduire dans la réalité politique ce que l’Allemagne était prête à accepter 20 ans plus tôt. 20 ans de développement de la Chine sans que nous ayons pu construire un système de gouvernance mondial, 20 ans de divisions européennes sur les questions de guerre et de paix qui n’ont pas réussi à faire barrage aux visées belliqueuses de W Bush contre l’Iraq, 20 ans de progrès certes mais interrompus maintes fois par des échecs attribuables en très grande partie aux divisions de l’Europe.
Au moment où le monde entier peine à sortir de la plus grave crise économique, écologique et financière, il serait dommage de voir l’Europe tourner à régime réduit. Ne sous-estimons pas le risque d’une Union européenne privée de vrai projet politique alors qu’elle doit affronter des défis nouveaux: une Chine expansive, le terrorisme islamiste… Pourrait-on s’attendre à être écouté si on n’avait plus rien à dire ? Tout en laissant aux historiens le soin de retenir les faits essentiels en rapport avec les événements de 1989, il y a lieu de rappeler que l’Histoire repasse rarement les plats.
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