Chronique Le Jeudi: L’Europe prise en otage
May 24, 2011 by Charles Goerens
L’Europe prise en otage
L’issue de ce que Jacques Delors qualifiait volontiers de la «dernière grande aventure collective» en parlant de l’intégration européenne paraît aujourd’hui plus que jamais incertaine. En clair, le moteur de l’intégration européenne est sensiblement endommagé. Il est assez curieux de constater que cette évolution, apparemment, ne choque plus personne. La lecture de la presse internationale, ces derniers temps, montre à quel point le doute s’est déjà installé. La cacophonie autour de la crise budgétaire grecque fait le gras non seulement des journaux anglo-saxons – on s’y était habitué – mais aussi, et ce de plus en plus, de l’ensemble des publications.
Ce qui est nouveau dans l’euroscepticisme de nos jours, c’est son ampleur d’abord. Plus personne pour ainsi dire n’ose encore prendre la défense d’une Union européenne que d’aucuns considèrent être devenue entre-temps une partie du problème. Ainsi l´arrivée de quarante mille réfugiés d’origine nord-africaine sert-elle de prétexte à plusieurs États membres de l’Union européenne souhaitant remettre sur le métier les accords de Schengen. C’est l’Italie qui a ouvert la boîte de Pandore en voulant se débarrasser au plus vite des migrants venus pour la plupart de Tunisie. La réaction de la France ne s’est pas fait attendre et les deux pays se sont finalement prononcés en faveur d’une modification des accords de Schengen sur certains points.
Si le nombre d’immigrés principalement d’origine tunisienne en Italie peut paraître élevé, il importe toutefois de le mettre en relation avec l’arrivée de demandeurs d’asile d’origine balkanique dans notre pays en 1999. L’accueil, pendant la guerre du Kosovo, de près de quatre mille citoyens des Balkans occidentaux par le Luxembourg – dont la population est voisine d’un demi-million de personnes – n’était certes pas une mince affaire. Notre gouvernement, à l’époque, n’envisageait pas pour autant une entrave à la libre circulation des personnes, qui reste d’ailleurs l’un des acquis les plus tangibles de la coopération européenne.
Toutes proportions gardées et dans un effort comparable, l’Italie, dont la population est 120 fois supérieure à la nôtre, devrait donc être en mesure d’accueillir aujourd’hui 480.000 immigrants. Rien que de ce point de vue, la réaction italienne est, à ce stade, franchement démesurée.
Là où des propos plus modérés seraient de mise, les responsables politiques italiens soufflent sur la braise. Certes, tout État membre est en droit d’en appeler à la solidarité de ses partenaires. Il n’est d’ailleurs pas question de laisser l’Italie seule face à un afflux vraiment massif de ressortissants nord-africains. Avec son agitation excessive et prématurée cependant, l’Italie s’attaque aux fondements même de l’acquis de Schengen. Mais à y regarder de plus près, l’on se demande tout de même si au-delà du problème de l’immigration – illégale ou non – la posture actuelle de Silvio Berlusconi ne s’expliquerait pas par les difficultés qu’il rencontre sur le plan politique intérieur de la péninsule. Dans l’exploitation abusive des craintes, pour la plupart injustifiées d’ailleurs, le président du Conseil italien n’hésite pas à faire un clin d’œil à ceux qui sont tentés par des positions plus dures en matière de contrôle de l’immigration. Cela paraît d’autant plus plausible que le gouvernement du Danemark, soucieux à son tour de calmer les vagues de contestation d’une droite populiste, enfreint carrément le fonctionnement de Schengen par le rétablissement du contrôle des personnes à ses frontières avec l’Allemagne et la Suède.
La digue serait-elle déjà sur le point de céder? Le test de résistance va nous le révéler. Le moins qu’on puisse dire, c’est que nous ne sommes pas en présence d’une situation banale. Sans vouloir verser dans la panique, il y a lieu tout de même d’inviter tous ceux qui ne veulent pas s’accommoder de l’idée d’une Europe offerte, à se mobiliser en faveur d’une Europe ouverte. En attendant que tous les citoyens européens soucieux de préserver les acquis de la construction européenne le manifestent plus clairement, leurs dirigeants seraient bien inspirés de renoncer dorénavant à jeter de l’huile sur le feu.
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