Chronique Le Jeudi: L’Europe, ça s’explique

February 16, 2012 by Charles Goerens

Ad ACTA?
C’est ainsi depuis la nuit des temps: la communication orale est libre, son contenu se perd à la vitesse où il s’articule. Même pour des échanges plus élaborés, recourant à des références littéraires, scientifiques ou artistiques, la conversation est toujours d’une certaine façon purement gratuite. Et ce au double sens du terme: elle ne coûte rien et, par ailleurs, elle n’expose pas son ou ses auteurs à des contrôles susceptibles d’entraîner des poursuites judiciaires. Nos sociétés auraient d’ailleurs l’air très triste si elles ne disposaient pas de cet espace de liberté et d’expression démocratique.
La communication changerait-elle de nature dès lors qu’elle serait assurée par des moyens électroniques? A en croire les détracteurs de l’accord ACTA (Anti-Counterfeiting Trade Agreement) ou ACA (Accord Commercial Anti-Contrefaçon), nous serions sur le point de franchir cette ligne rouge. L’agitation de la société civile autour de cet accord a pris une tournure qui envahit désormais la sphère politique. Ceux qui avaient déjà entonnés le requiem pour une jeunesse trop passive, absente du débat public, cette fois-ci, en prennent pour leur grade.
Pour les jeunes, la communication électronique via internet, une fois l’accord ACTA en vigueur, donnerait un caractère différent à la communication. Du fait de la digitalisation, l’information voyage par voie électronique entre l’auteur et son/ses destinataire(s). La transmission de ces messages est assurée par des serveurs puissants. Quiconque a accès au serveur peut lire dans l’âme des gens et en exploiter le contenu. A moins de pouvoir prévenir toute possibilité d’abus par des règles strictes et efficaces.
En toute logique, les dispositions légales sur lesquelles se basent les règles de protection applicables au traitement des données électroniques sont les mêmes qui fondent les dérogations ou exceptions au régime commun. Tout dispositif réglementaire en la matière doit rester conforme aux principes de proportionnalité et de confidentialité des données pour n’évoquer que les précautions les plus élémentaires à prendre dans ce domaine. Le projet ACTA, va-t-il mettre fin au régime de relative tolérance applicable jusque-là à l’utilisation du net? Va-t-on assister, comme le laissent entendre les opposants d’ACTA, à la violation systématique de la sphère privée des internautes au seul motif que la protection de la propriété intellectuelle n’aurait pas d’autres moyens de contrôle de la contrefaçon que l’incursion dans internet? Chaque mouvement sur internet serait-il désormais perçu comme une violation potentielle de la protection de la propriété intellectuelle?
Une future «police d’internet», va-t-elle désormais voir dans chaque mouvement sur le net une infraction potentielle au régime anti-contrefaçon? Les détracteurs de l’accord ACTA le redoutent. Les pays signataires, par contre, réfutent cette affirmation avec la même détermination. Or, de deux choses l’une: ou bien les craintes des jeunes qui défendent jalousement leur statut d’internautes libres sont justifiées ou bien elles ne le sont pas.
C’est au Parlement européen de faire en sorte que les réponses à l’ensemble des questions en suspens soient fournies avant de voter sur le texte de l’accord. C’est dans le cadre de l’audition prévue pour le 1er mars que l’on peut s’attendre aux premiers éléments de réponse aux craintes manifestées avec vigueur le weekend dernier.
Si des malentendus peuvent être levés grâce à l’intervention de la Cours de Justice Européenne, il faudra explorer cette piste! Si, toutefois, des craintes justifiées devaient se maintenir, malgré la bonne foi de tous les participants à l’examen de l’accord – ce qui me semble être la moindre des choses – les signataires d’ACTA devraient arrêter le processus de ratification. Si l’on veut que les rapports intergénérationnels s’inscrivent dans un climat de confiance, on ne pourra pas faire l’économie d’un échange ouvert, franc et direct.

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Member of the European Parliament (Renew Europe)

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