Chronique Le Jeudi: Le refus de la fatalité: L’exemple du SIDA

April 20, 2011 by Charles Goerens

Le refus de la fatalité: L’exemple du SIDA
Pour gagner un pari sur l’avenir, il faut de l’audace, de la clairvoyance et de la détermination. L’histoire du Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme en est une belle illustration. Remontons à la seconde moitié des années 1990, au moment où apparaissent les premiers médicaments antirétroviraux (ARV) dans les traitements des patients atteints du SIDA. C’est le début d’un immense espoir pour tous les malades jusque-là voués à la disparition quasi certaine. Désormais, l’agonie ne constitue plus l’issue tant redoutée par tous ceux que le dépistage a révélés séropositifs.
La bonne nouvelle, hélas, n’atteint que les malades qui vivent dans les pays riches. Ceux qui ont le malheur d’être séropositifs au Mali, au Soudan, au Zaïre ou au Rwanda restent privés d’accès à la trithérapie, à moins de faire partie de la classe privilégiée. L’Afrique, qui demeure la plus touchée par le fléau du SIDA, voit ainsi le fossé se creuser davantage encore, non seulement entre riches et pauvres, entre ceux qui ont accès au savoir et ceux qui en restent écartés, mais également entre patients qui ont droit aux soins et ceux qui sont condamnés à mourir dans l’indifférence générale. Tout porte à croire, vers la fin du siècle dernier, que cette situation va encore s’empirer.
Le débat politique tourne alors autour de l’incapacité d’inverser cette tendance. Parmi les explications le plus fréquemment utilisées par les responsables politiques des pays riches figurent en premier lieu le prix exorbitant des médicaments – les ARV coûtent en effet 10000 dollars par patient et par an à cette époque – ainsi que la précarité des systèmes de santé dans les pays en voie de développement. Il n’est, dès lors, pas étonnant de voir même la plupart des ministres de la coopération au développement prétexter du coût très élevé pour couper court à toute tentative d’explorer des voies d’accès aux ARV pour les malades du SIDA en Afrique. Le discours finit par s’articuler autour des vertus de la prévention dont le prix est de toute évidence très inférieur à celui occasionné par l’accès aux soins. Vouloir privilégier la prévention se heurte cependant à un obstacle de taille : où est l’intérêt d’un Africain d’accepter un dépistage si, en revanche, il n’y a pas le moindre espoir de thérapie? L’informer de sa séropositivité revient dès lors à lui annoncer sa mort, ne cessera de marteler Bernard Kouchner.
Au tournant du millénaire, la résistance commence à s’organiser. Les appels politiques se multiplient, des mouvements associatifs en Afrique du Sud notamment, visant à mettre fin à l’«apartheid» dont sont victimes les malades dans les pays en développement, ont le «culot» de défier l’industrie pharmaceutique. L’idée, selon laquelle l’accès aux médicaments essentiels ne peut plus se réduire à une question de brevet, est à l’origine d’une avancée assez spectaculaire lors de la conférence de Doha en 2001. L’Organisation mondiale du commerce réussit en effet à se mettre d’accord sur l’idée de l’urgence sanitaire qui va avoir pour effet de tolérer dorénavant la fabrication d’antirétroviraux dans un laboratoire national d’un pays en développement sans entraîner pour autant des sanctions au cas où le brevet serait encore protégé. Dès lors, l’on ne peut plus invoquer de circonstances atténuantes à propos de la non-assistance aux malades du SIDA en danger, si ce n’est l’absence d’un cadre organisationnel approprié.
Avec la création, en l’an 2002, du Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme, finalement, la lutte pour l’accès aux soins thérapeutiques dans les pays en développement prend un tournant décisif. Neuf ans après sa création, le Fonds peut faire état de sept millions de vies sauvées, dont 3 millions de malades du SIDA. Aussi le montant voisin de 10000 dollars pour un traitement trithérapeutique annuel, avancé par les sceptiques de tous bords dans les années 1990 pour justifier leur refus de propager les soins en Afrique, se situe-t-il à des années lumière de la réalité aujourd’hui. Faut-il rappeler que, de nos jours, le coût du traitement annuel oscille entre 120 et 150 dollars ? C’est dire que la projection sur l’avenir d’une situation momentanée peut paraître non seulement aberrante mais carrément irresponsable. Si l’on n’avait écouté que les Cassandre, on aurait été réduit au rôle de comptable de 7 millions de personnes mortes dans l’insouciance générale. De plus, il n’y aurait pas le moindre espoir pour les dizaines de millions de femmes, d’hommes et d’enfants porteurs du virus VIH en 2011. Cela peut se résumer en un bout de phrase : le prix de la fatalité.
La morale de l’histoire ? La fatalité conduit à la rigidité, la rigidité conduit à l’immobilisme et l’immobilisme à la mort. Une bonne dose d’humanisme, doublée d’une volonté de fer, par contre, peut nous amener à découvrir des horizons nouveaux. Le mouvement de résistance, dont il est question ci-dessus, va permettre à des millions de personnes de survivre. Oui, on peut transformer l’essai. On devra s’en inspirer afin d’imaginer des coopérations au développement intelligentes et couvrant encore d’autres domaines que celui de la santé qui, demain, permettront à ces mêmes personnes non seulement de survivre mais de vivre.

category:

 
Charles Goerens image

About Charles Goerens

Member of the European Parliament (Renew Europe)

Continue reading

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *