Chronique Le Jeudi: La réforme de la PAC – Politique Agricole Commune
December 9, 2010 by Charles Goerens
LA REFORME DE LA POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE
(DEUXIEME PARTIE)
Si l’on veut exclure le pire, c’est-à-dire l’absence d’accord sur la future PAC, une démarche commune franco-allemande est certes indispensable, même si elle peut paraître insuffisante. Il va donc falloir trouver des Etats « like minded ». De ce point de vue, d’autres pays à fort potentiel agricole auraient leur mot à dire. La Pologne, par exemple, déjà trop importante pour être ignorée mais pas encore suffisamment forte pour pouvoir s’imposer seule, pourrait prendre la direction d’un groupe de pays qui insistent que soit mis fin au traitement qu’ils considèrent être discriminatoire en matière d’aide directe aux exploitations agricoles. Les agriculteurs des nouveaux Etats membres de l’Union européenne touchent effectivement des montants sensiblement inférieurs à ceux alloués à leurs homologues français, allemands ou britanniques.
Ce qui est certain, par contre, c’est qu’un accord devient impensable sans faire entrer Londres dans la combine. Pour ce faire, le Royaume-Uni, ultra pragmatique, est bien-entendu conscient du fait que l’UE – qui lui garantit son fameux rabais budgétaire – n’aura pas la moindre chance de reconduire sans l’accord de la RFA et de la France. En effet, le cadre financier encore en vigueur prendra fin en 2013 tout comme la PAC actuelle. Tout et rien n’étant pas des options, le Royaume-Uni sait qu’il lui sera impossible d’obtenir le beurre et l’argent du beurre. En bons stratèges, les responsables gouvernementaux d’Outre-Manche, en quête d’alliés finiront sans doute par s’inspirer de Winston Churchill, qui avec son sens légendaire de la formule, nous a appris que : s’il y a une chose encore pire que celle qui consiste à lutter avec des alliés, c’est de lutter sans alliés.
A l’heure ou ces lignes sont écrites, toute déclaration sur la future PAC pourrait se révéler hasardeuse. Pour difficiles qu’elles soient, les négociations ne pourront aboutir que si tous les Etats membres sont prêts à faire des concessions.
Tout cela ne suffit pas encore à rassurer le monde agricole qui peine encore à sortir de la crise de 2009 marquée par la chute spectaculaire des prix agricoles. Sans être en mesure de deviner d’ores et déjà les contours précis de la future PAC, on peut tout de même mentionner, à ce stade, quelques éléments qui finiront sans doute par jalonner l’itinéraire que devra emprunter l’agriculture européenne après 2013.
1) Personne n’aura intérêt à manœuvrer l’Union européenne dans une impasse. Un blocage de l’Union européenne dans un secteur donné, en l’occurrence l’agriculture, devrait entraîner inévitablement un effet boumerang pour tous les Etats membres et en premier lieu pour l’auteur de l’échec des négociations.
2) En principe, la régulation des marchés n’est pas interdite par le Traité de Lisbonne en vigueur depuis décembre 2009. Il y a dès lors lieu de tabler sur la possibilité de recourir – également après 2013 – à des mécanismes d’intervention susceptibles de protéger les agriculteurs contre les conséquences les plus fâcheuses de la volatilité des prix. Rappelons cependant que si l’intervention dans le fonctionnement du marché était devenue la règle jusqu’au début des années 1980, celle-ci va sans doute devenir l’exception après 2013, ce qui ne ferait qu’accentuer une tendance de fond confirmée par les réformes successives de la PAC.
3) Il en est de même des restitutions à l’exportation de produits agricoles dans les pays tiers, option à laquelle l’Union européenne a déjà renoncé en principe dans le cadre du Doha Round. Si en l’an 2000, le recours à cette possibilité a encore coûté 10 milliards d’euros au budget de l’Union européenne, ce montant n’était plus que de 350 millions huit ans plus tard. La situation – de ce point de vue – a donc fondamentalement changé, mais le discours présentant l’Union européenne comme le fossoyeur de l’agriculture des pays en développement est resté le même. Il importe dès lors d’objectiver le débat, déjà suffisamment compliqué sans être hypothéqué par des aspects irrationnels de ce genre.
4) La volonté de différencier davantage les aides agricoles en fonction de critères régionaux tenant compte des handicaps naturels est devenue une perspective réelle. Ceci doit intéresser plus particulièrement l’agriculture luxembourgeoise déjà bénéficiaire de cette mesure à l’heure actuelle.
5) Outre les aspects inhérents à toute négociation politique et plus particulièrement ceux ayant trait aux contraintes budgétaires récurrentes, l’ère agricole post-2013 sera caractérisée – on peut déjà le constater à l’heure actuelle – par une plus grande exposition au risque de l’agriculteur. Des filets de sécurité moins performants que par le passé feront coexister deux types d’agriculture pour ce qui est du revenu agricole: Le paysan européen devra décider s’il voudra être plus dépendant des cours des matières premières agricoles ou s’il entend opter pour une relation plus personnelle avec le consommateur. Autrement dit, il sera amené à choisir s’il voudra dépendre en matière de revenu plutôt de la bourse de Chicago ou du pouvoir d’achat d’une clientèle de proximité.
6) En matière de lutte contre le changement climatique, les experts scientifiques s’attendent à voir l’agriculture jouer un rôle crucial à l’avenir. Les espoirs dans ce domaine concernent moins le secteur agricole comme producteur d’énergie alternative renouvelable, mais plutôt la capacité d’absorption de CO2 par les terres arables. Celle-ci constitue, en effet, un potentiel important, voire indispensable en vue d’atténuer le réchauffement de la planète. Le professeur Stiglitz estime que la dégradation de la matière organique résultant de la déforestation ou d’un changement d’affectation des sols serait responsable à elle seule d’une émission de CO2 équivalente aux quantités de gaz à effet de serre produites par les Etats-Unis.
7) Lorsque la PAC réformée arrivera à son terme en l’an 2020, les réserves mondiales en énergies fossiles seront certes encore fort importantes, mais la nécessité de préparer l’ère post-pétrole sera devenue une évidence. La vocation de l’agriculture à fournir les matières premières susceptibles de remplacer, ne fût-ce que partiellement, le pétrole, se fera de plus en plus ressentir.
8) La discussion sur l’avenir du secteur agricole ne pourra être déconnectée ni des réflexions portant sur la sécurité alimentaire ni de celles qui ont trait au développement durable de la planète. Selon Edgar Pisani, déjà ministre de l’agriculture sous Charles de Gaulle, on aura besoin de toutes les agricultures si l’on veut éradiquer la famine et la malnutrition à l’échelle globale. Le nonagénaire sait très bien que cette conception est incompatible avec la libéralisation progressive des échanges de produits agricoles. On est cependant nombreux à croire que cela ne constitue pas une raison suffisante pour ne pas aborder les grands défis auxquels se voit confronté l’humanité.
Les aspects institutionnels, budgétaires, environnementaux, commerciaux e.a. ne devraient pas masquer l’enjeu stratégique que représente l’agriculture pour l’Union européenne. De loin meilleure que sa réputation, l’agriculture a vocation à devenir un secteur d’avant-garde.
Il est devenu banal de rappeler que le succès professionnel de l’agriculteur sera aussi à l’avenir comme par le passé fonction, dans une très large mesure, de son niveau de connaissances et de ses capacités de gestion. Cela ne signifie en aucun cas que l’Union européenne n’ait pas de responsabilités à assumer en la matière. C’est à elle que revient la mission de redéfinir un cadre favorable au développement du monde rural. C’est tout l’enjeu de la réforme de la PAC.
Leave a Reply